Souvenirs
J'ai eu ma première HP 41C
alors que j'étais au lycée. Je l'ai acquise durant ma
première F1, section technique. C'était en octobre ou
novembre. Un peu plus tard, l'année d'après, j'ai eu le
lecteur de cartes. J'ai dû l'acheter fin août 81 au moment
du passage en terminale. C'est ma mère qui m'a donné un
chèque du montant du lecteur (environ 1,400 francs je crois), je
l'avais travaillée tout l'été, et je me souviens
être allé à la FNAC des Halles l'acheter.
Durant les vacances d'été, j'avais travaillé dans
une colonie de vacances près de Annecy. Mes parents
étaient venus me rejoindre à la fin du mois de juillet,
et ils étaient allés camper au bord du lac. Je me
souviens que mon oncle et sa femme avaient loué une maison non
loin du même endroit, et que j'étais allé avec lui
voir les calculatrices dans un super marché d'Annecy
(peut-être Carrefour).
Pour acheter la HP 41C,
j'avais revendu ma TI 58C qui était tout de même une
sacrée machine. En réalité, la TI 58C était
pour moi bien suffisante, mais la course technologique battait son
plein, comme aujourd'hui lorsque l'on revend un ordinateur pour en
acheter un plus puissant alors que l'on se contente de faire du
traitement de texte. Il y a beaucoup de ridicule dans la
démarche du progrès technique et dans le cautionnement
que l'on en fait.
Lorsque l'on allait à la FNAC, il y avait toutes ces machines en
démonstration ; mais la HP 41C était fixée sur le comptoir en libre utilisation, de manière à pouvoir la tester.
Tout le monde pouvait la toucher, pianoter dessus, voir comment elle
fonctionnait. Elle était connectée à une
imprimante thermique HP 82143A. Pour m'amuser, j'imprimais le catalogue
des fonctions que je rapportais chez moi pour le coller dans un cahier
qui contenait toute sorte d'informations sur les calculatrices et les
ordinateurs. Par exemple, j'avais le dépliant publicitaire de la
HP 67 qui était pour moi la plus belle et puissante des machines.
Parfois, je prenais le temps de programmer un truc du genre : imprimer
" BONJOUR ". Ce que j'aimais surtout c'était cette forme de
contact (d'interaction) qui était rendue possible par la
programmation. Souvent les premiers contacts avec le langage de
programmation sont du type : Print " Bonjour ". Cette salutation que
l'on adresse à du matériel électronique renvoie
à l'idée qu'on est en face d'un individu et non pas d'une
machine. C'est ce que Simondon nomme le processus d'individuation.
Finalement, il n'y a pas moins de contact qu'avec un animal familier de
type Hamster ou souris. Une étude qui mettrait en
parallèle le comportement devant une machine et un animal serait
riche d'enseignement.
Il y avait aussi la HP 67, mais son prix était beaucoup plus élevé que celui de la HP 41C,
bien que la HP 67 était plus " belle " à mes yeux. Dans
son esthétique était intégré le lecteur de
cartes magnétiques, qui avait pour moi un rapport direct avec
l'ordinateur et avec le monde extérieur. Cette
possibilité d'enregistrer ces programmes ou d'en échanger
donnait à cet objet une puissance et un prolongement. Bien
sûr, il existait d'autres calculatrices qui possédaient
cette particularité, comme la TI 59. C'était des petits
ordinateurs de poche.
L'avantage avec la HP 41C
c'est qu'elle était vendue en version de base pour un prix
à peu près correct. Je crois qu'elle valait plus
chère que la TI 59 tout de même, mais ici nous touchons
à une différence de clan plutôt qu'à une
différence de matériel. Je m'explique : Il y avait ceux
qui étaient pro-Texas Instruments et ceux qui étaient
pro-Hewlett-Packard. C'est à peu près tout, car ceux qui
possédaient une Sharp PC-1211 ou plus rarement encore une CASIO,
faisaient partie d'un autre clan.
En verrsion de base, avec ses 63 registres, elle était
abordable. Et en ajoutant des accessoires, on pouvait la transformer en
véritable outil de gestion. Reste qu'à l'arrivée
du système HP-IL, en 1982, j'ai laissé tomber
l'idée de développer mon matériel car cela
devenait vraiment très coûteux. Par exemple, il y avait un
lecteur de micro-cassettes qui devait valoir à l'époque
4,000 francs, vraiment très cher, mais de très bonne
qualité.
C'est le critère de qualité qui a toujours
démarqué les HP des TI, et encore plus des japonaises. On
sentait la qualité sous les touches. Le plastique du
boîtier était également un signe de qualité.
La rigidité de l'ensemble, même si les séries TI
58-59 étaient mieux finies que les TI 57, le sérieux de
la finition en faisait un matériel haut de gamme qui peut
s'apparenter à un objet à la fois ostentatoire et source
de distinction.
Reste que le principe des touches sur les HP fait qu'elles ne se
déplacent pas, elles pivotent autour d'un axe. Ensuite, elles
sont mieux dessinées, et l'idée d'y placer trois
fonctions leur donne un côté plus complet. De plus, leur
couleur a été bien pensée. Enfin, l'écran
de la HP 41C
était révolutionnaire par rapport aux écrans
à diodes LED. Un affichage à seize segments offrait
l'avantage de pouvoir afficher des textes alphanumériques
vraiment clairs, ce qui n'était pas possible auparavant. Non, la
HP 41C offrait une
puissance en matière de programmation et d'interaction vraiment
supérieure au TI 58-59, même s'il était
agréable de travailler avec une TI-59.
Il y avait aussi des points communs.
Par exemple, les revues conseillaient d'acheter une housse de TI 30 pour la transporter. En effet, la HP 41C
était vendue avec une housse plus grande qui devait accueillir
le lecteur de cartes magnétiques. Cette originalité, qui
partait du principe que tôt ou tard on finirait par acheter un
lecteur de cartes, (ce qui fût mon cas) était dans un
premier temps gênant. J'avais donc acheté une housse de TI
30 que l'on trouvait pour pas cher dans les librairies. Car la TI 30
était vendue sans housse de transport. J'avais même
été jusqu'à recouvrir l'intérieur d'une
simili peau de bête noir et blanche. Quand j'y repense,
c'était d'un kitsch à toute épreuve. Mais cela
montrait l'attachement à cet objet, et le soin qui lui
était dispensé.
À la différence des Sharp et des CASIO, les TI et les HP
se programmaient à peu près de la même
façon. Enfin dans les grands principes, car bien sûr les
unes étaient en notation algébrique alors que les autres
en notation polonaise inversée. Quand j'y repense maintenant, on
aurait pu dire que les TI étaient en notation Arabe et les HP en
notation Polonaise, l'Orient contre l'Occident en quelque sorte. Il
faut se rappeler que c'est quand même un Allemand ex-nazi qui a
permis de construire les premières fusées
Américaines.
Mais cela nous éloigne un peu... pas tant que ça.
Bref, j'étais le seul de ma classe à posséder une HP 41C.
Je l'ai amenée quelques fois à l'école dans sa
housse. Les copains venaient s'émerveiller des prouesses de
cette machine. J'avais un autre copain qui en possédait une.
C'était celle de son père qu'il promenait de temps en
temps et montrait dans la cour du lycée. Dans ma classe, un
autre copain avait une Sharp PC-1211, c'était tout. Mêmes
les profs n'avaient pas de telles machines. Je me souviens que le prof
de math me demandait des conseils pour programmer les TI 57 que
possédait le lycée dans une grande mallette
métallique. Enfin, la HP 41C
s'est vendue jusqu'en 1991 à plus d'un million et demi
d'exemplaires à travers le monde. Aujourd'hui, on en trouve
toutes les semaines sur e-bay.
Je pense que j'ai été un pionnier en la matière,
et qu'après moi, beaucoup d'autres lycéens en ont acquis
une. Cela est démontré par l'effervescence que l'on
trouve dans les publications pour les lycéens comme l'Ordinateur de poche et l'Ordinateur Individuel.
La HP 41C
est devenue un mythe car elle a réellement été au
centre de groupement d'étudiants au point qu'aujourd'hui des
sites Internet y consacrent leurs pages.
Son évolution tient tout d'abord à l'accroissement de sa
capacité de mémoire. Il était facile de
transformer sa HP 41C en une HP41CV en adjoignant un module Quad Memory dans un des quatre ports de la machine. Après, la HP41CX était une machine un peu supérieure dans ses fonctions, mais pas réellement différente.
Mais une partie de ceux qui avaient balbutié sur ces machines sont ensuite partie vers les micro-ordinateurs.
Au-delà d'un objet technique de qualité, cette machine a
cristallisé des émotions et un intérêt pour
la transgression. Dès 1981, une série d'articles parus
dans un journal spécialisé faisait état d'un
défaut du hardware qui permettait d'enter dans les fonctions
internes de la machine et d'augmenter de manière transgressive
ses fonctions de programmation : le CRIC. Ce que les auteurs ont
appelé la programmation synthétique était
née, et devait permettre à de nombreux utilisateurs de
renforcer la cohésion du clan des Hpistes. À peu
près au même moment, les utilisateurs des TI trouvaient
une fonction assez proche HIR, qui, à mon avis, a
été pour beaucoup dans l'intérêt de ces
petites machines.
Le côté transgressif, ou de l'utilisation hors du
contexte normal, permettait une revendication et une prise de
pouvoir de la part des utilisateurs, en montrant leur
supériorité par rapport aux géants de
l'électronique. Ils en remontraient aux ingénieurs. Le
dialogue entre les firmes et les utilisateurs n'a jamais vraiment eu
lieu, sauf peut-être avec le PPC américain. Et au lieu de
profiter de ces fonctions synthétiques, les marques TI et HP ont
rapidement corrigé leur hardware (ex. dans le manuel de la TI
66). Seuls les premiers modèles de HP 41C
ont pu découvrir l'utiliser la fonction XROM. Mais comme ont
pouvait l'enregistrer sur une carte magnétique, beaucoup
d'utilisateurs ont pu se la procurer avant de trouver une autre voie.
Ainsi, à travers les revues spécialisées, une
véritable culture technique a pu se concrétiser.
Celles-ci diffusaient des codes, des valeurs (souvent anti-japonais
d'ailleurs), une véritable micro-culture partagée entre
les fervents utilisateurs. C'est cette culture que je souhaite
étudier à travers les revues, la mémoires des "
anciens ", et également à travers une introspection.
© Noël Jouenne, octobre 2007